La ballochorie : quand les plantes lancent leurs graines

Lorsque la Nature expulse

Ballochorie : voici un mot qui nous vient du grec ancien, forgé à partir des mots βάλλειν (ballein) qui signifie lancer et χωρέιν (khorein) qui signifie se déplacer. Les botanistes désignent sous ce terme l’éjection mécanique des graines par certaines plantes, se traduisant par une projection à distance plus ou moins courte -de quelques décimètres à plusieurs mètres- lors de l’ouverture brutale de la gousse parvenue à maturité. Le perfectionnement du slow motion en vidéo permet de bien visualiser le phénomène et d’en analyser les mécanismes car ils diffèrent selon les plantes. On emploie aussi les termes de bolochorie et d’autochorie. Ce mode de dissémination n’est toutefois qu’un des moyens utilisés par le monde végétal  pour assurer la reproduction à distance de la plante-mère et permettre ainsi sa prolifération.

Les autres moyens sont principalement : la dispersion par le vent ou anémochorie, la dissémination par l’eau ou hydrochorie, le transport par les animaux ou zoochorie ; chacune de ses catégories peut à son tour être subdivisée. La ballochorie ne concerne en réalité que quelques espèces végétales dont nous allons énumérer les plus connues.

Le Concombre d’âne (Ecballium elaterium) est appelé aussi cornichon gicleur ou concombre cracheur. Appartenant à la famille des Cucurbitacées, il présente des ressemblances avec le concombre que l’on consomme (Cucumis sativus). Sa particularité est de présenter à maturité un fruit turgescent, qui se détache du pédoncule au moindre choc, projetant violemment, par l’orifice ainsi libéré, un liquide visqueux contenant les graines, un peu à la manière d’une bouteille de champagne que l’on débouche ; l’analogie avec la sexualité animale est ici manifeste, ce qui explique peut-être la popularité de cette plante sur les réseaux sociaux.

Gui du genévrier ou gui nain (Arceuthobium oxycedri) : comme le nom l’indique, cette plante des montagnes méditerranéennes parasite certaines variétés de genévriers. Elle implante ses racines entre l’écorce et le bois de son hôte. Les feuilles sont réduites à de petites écailles et donnent à la plante l’aspect d’une salicorne. Les baies s’ouvrent à maturité, en projetant leur graine enrobée d’une substance adhésive qui lui permet de s’accrocher aux branches ; la vitesse atteinte par les graines est de l’ordre de 80 km/h. Le gui du genévrier ne doit pas être confondu avec le gui proprement dit (Viscum album) -la plante du druide Panoramix- dont les graines sont disséminées par les oiseaux qui mangent les baies et les véhiculent dans leur appareil digestif (c’est l’ornithochorie, une forme de zoochorie) ; celles-ci sont emplies d’une substance visqueuse qui servait autrefois à fabriquer la glu (viscum en latin) et qui assure l’adhérence des graines.

  • Alain FRIDLENDER : Taxons nouveaux dans le genre Arceuthobium M. Bieb. (Viscaceae, Santalales). Bulletin mensuel de la Société Linéenne de Lyon, 2015, n°84 (9-10), p. 269-292. http://www.linneenne-lyon.org/depot1/17448.pdf
  • Mustapha RHANEM : Une localisation inconnue d’une Phanérogame paraiste méconnue de Juniperus oxycedrus L., Arceuthobium oxycerdi (DC.) M. Bieb, sur les collines marno-calcaires attenantes au djebel Tadrart (Maroc). Evaxiana, n°5, p. 5-17.

Faux Ricin ou Médicinier rouge (Jatropha gossypiifolia) : cet arbuste tropical est originaire d’Amérique centrale et méridionale ; il a été introduit dans toute la zone intertropicale où il est devenu invasif. De la famille des Euphorbiacées, il secrète un latex, présent dans la tige. Ses fleurs rouges se transforment en petites capsules qui explosent à maturité et projettent les graines qu’ils contenaient à plus de 3 mètres. Ces graines sont toxiques pour l’homme.

Épurge ou herbe aux taupes (Euphorbia lathyris) : voici une autre représentante de la grande famille des euphorbes, répandue dans les jardins et les friches. C’est une plante bisannuelle qui offre deux aspects bien différents selon son âge. La première année, c’est une simple tige à feuilles étroites, lancéolées, d’un vert profond, régulièrement disposées en croix. La deuxième année, la plante se ramifie et prend l’aspect d’un buisson volumineux, qui produit de nombreuses petites inflorescences très discrètes qui se transforment durant l’été en capsules explosives, projetant leurs graines au loin. Chaque graine présente une petite excroissance riche en substances nutritives, qui attire les fourmis ; celles-ci vont transporter les graines encore plus loin : la zoochorie prend ainsi le relais de la ballochorie. Comme toutes les euphorbes, l’épurge est toxique et son latex irrite la peau ; elle était utilisée jadis comme purgatif et tire son nom français de cet usage. Elle est est aussi réputée chasser les taupes.

Acanthe à feuilles molles ou Branc-Ursine (Acanthus mollis) : l’acanthe est une plante d’origine méditerranéenne, connue par ses grandes feuilles très découpées qui ont inspiré les architectes et les sculpteurs dès l’Antiquité. Elle développe de hautes hampes florales portant de nombreuses fleurs, un peu à la manière des lupins, ce qui participe à leur succès auprès des jardiniers. Les fruits sont des capsules qui s’ouvrent à maturité et projettent les graines à plusieurs mètres. L’appellation alternative de branc-ursine ou branche-ursine vient de la ressemblance (très lointaine, il faut bien l’avouer) avec une patte (branca en latin) d’ours (ursus).

Oxalide corniculée (Oxalis corniculata) : vous ne connaissez probablement pas son nom, mais vous l’avez forcément déjà croisée ; cette petite plante à fleurs jaunes possède des feuilles composées, trilobées et dont chaque foliole est cordiforme, rappelant les feuilles du trèfle ; elles ont la particularité de se replier la nuit ou en cas de fortes chaleurs, à la manière d’un parapluie. Mais l’oxalide présente une autre caractéristique étonnante ; à maturité, le fruit (une fine capsule allongée) explose au moindre contact et projette ses graines à plus de 2 mètres. C’est une des raisons qui expliquent sa prolifération dans les jardins et les friches et même sur les trottoirs urbains : c’est ce qu’on appelle une plante adventice. L’oxalis produit un sel, l’oxalate de calcium, que les bactéries du sol transforment en dioxyde de carbone, rejeté dans l’atmosphère et en carbonate de calcium incorporé dans le sol ; en raison de la présence de ce sel minéral, il ne faut pas abuser de la consommation de ses feuilles qui peuvent être mangées crues, ajoutées à une salade par exemple ou préparées comme l’oseille dont elle rappelle le goût. Sous le nom de katabami, l’Oxalis est un motif fréquent du kamon (blason japonais), représenté seul ou mêlé à des sabres stylisés (http://nagoya-en-francais.over-blog.com/article-33160494.html).

Oxalide à la mi-mai
Capsule et feuilles d’oxalide
Capsule d’oxalide
Kamon du type maru-ni-ken-katabami

Cardamine hérissée (Cardamine hirsuta) : encore une petite plante adventice très commune entre les pavés urbains, reconnaissable à ses feuilles disposées en rosette autour des tiges, qui portent de très petites fleurs blanches ; on peut la consommer comme du cresson dont elle rappelle le goût. On l’appelle d’ailleurs aussi cresson des murailles. Comme les précédentes, c’est une plante rampante et comme l’oxalide, ses fruits fins et allongés (qu’on appelle des siliques) explosent à maturité au moindre contact, par enroulement des valves, projetant ses graines.

Cardamine à la mi-mars
Cardamine en fleurs mi-mars
Siliques de cardamine contenant les graines
Silique de cardamine ouverte à la mi-mai

Herbe à Robert (Geranium robertianum) : chacun a déjà pu observer cette plante rougeâtre, fine, au feuillage finement découpé et à petites fleurs roses, qui prolifère dans les friches, les jardins peu entretenus et les interstices des murs. La tige, les pédoncules et les calices des fleurs sont rougeâtres et poilus. Tout jardinier est familiarisé avec l’odeur caractéristique que la plante dégage lorsqu’on froisse son feuillage et qui lui vaut le qualificatif de stinking bob –robert puant- en anglais ! Comme l’Oxalis et la Cardamine, l’herbe à Robert est comestible (crue ou cuite) et possède de nombreuses propriétés thérapeutiques. En raison de sa richesse en tanins, on utilisait aussi sa racine pour tanner les cuirs. Le fruit est semblable à un stylet porteur de 5 segments possédant chacun une seule graine, qui est expulsée à maturité, jusqu’à une distance de 3 mètres et une hauteur de 2 mètres, ce qui lui permet de s’implanter parfois dans les fissures des murs. La forme du fruit, en bec de grue ou en bec de cigogne, au choix, est à l’origine des appellations géranium (du latin geranis=grue) et pelargonium (du grec pelargos=cigogne).

Violette (Viola odorata) : inutile de présenter cette ravissante petite fleur sauvage à l’odeur si délicate. Le fruit est une petite capsule allongée qui s’ouvre en trois segments dans lesquels les graines sont alignées en rang serré ; en séchant, les bords se rétractent et exercent une telle pression sur les graines qu’elles sont expulsées à plusieurs mètres de distance.

Violette au début du printemps

Genêt à balai (Cytisus scoparius) : cette plante buissonnante à fleurs jaunes abondantes est courante dans les landes des bords de mer ; les jours d’été, on peut aisément entendre le claquement  accompagnant l’éclatement des gousses noircies, qui répandent ainsi des centaines de graines autour de la plante à une distance pouvant atteindre 7 mètres.

Spartier jonc ou genêt d’Espagne (Spartium junceum) : d’un aspect proche du précédent, le spartier est un arbuste buissonnant à fleurs jaunes appartient à la grande famille des Fabacées. Comme plusieurs représentants de cette catégorie, le spartier produit des gousses de 6-8 cm de long qui en séchant s’ouvrent en spirale avec un claquement sonore et projettent leurs graines. Comme le genêt à balai et le cytise (Laburnum), le spartier jonc contient un alcaloïde hautement toxique, la cytisine.

Glycine de Chine (Wisteria sinensis) : chacun connaît cette plante grimpante très décorative qui court fréquemment sur les façades des maisons de campagne (et parfois de ville), portant d’abondantes grappes de fleurs violettes ; c’est encore une plante de la famille des Fabacées. Ses gousses, de 10 à 15 cm, s’ouvrent de façon explosive et projettent les graines à 5 ou 6 mètres.

Lupin à folioles nombreuses (Lupinus polyphyllus) : c’est un lupin sauvage, originaire d’Amérique du Nord et appartenant à la famille des Fabacées. Il est à l’origine des variétés cultivées, par hybridation avec la variété arbustive (Lupinus arboreus). Ses qualités ornementales viennent de ses fleurs disposées en épis sur une hampe atteignant 50 cm de hauteur et qui peuvent être de couleur variée (bleue, rose, blanche, pourpre,…).  Le fruit est une gousse de 3 à 6 cm de long, contenant de 5 à 9 graines qui sont expulsées l’été par temps sec, jusqu’à 5 mètres de la plante-mère.

Pentachlethra eetveldeana est un arbre tropical de la sous-famille des Mimosaceae, elle-même rattachée à la famille des Fabacées ; il présente des similitudes avec le Mimosa mais sa hauteur peut atteindre 30 mètres. Ses fruits sont des gousses atteignant 20 cm de long, qui s’ouvrent sur l’arbre de façon explosive, envoyant les graines à 10 mètres de l’arbre. Il pousse en Afrique équatoriale.

Grande Chélidoine ou Herbe-aux-verrues (Chelidonium majus) : la chélidoine possède des fleurs jaunes et se distingue surtout par le latex jaune-orangé qui s’écoule des cassures de ses tiges et dont l’application est réputée éliminer les verrues ; le fruit est une silique, type de capsule allongée très fine (cf. la cardamine, ci-dessus) ; lorsque les deux valves se séparent, les graines contenues à l’intérieur sont catapultées à courte distance par le petit pédicule qui les rattachait au bord de la valve ; comme dans le cas de l’épurge, les fourmis se chargent ensuite de prendre le relais (on parle de myrmécochorie, du grec μúρμηξ, murmex : fourmi) car ces insectes affectionnent la substance attachée à la graine.

Balsamine de  l’Himalaya (Impatiens glandulifera) : c’est une grande plante annuelle, introduite au XIXe s. en Europe pour ses qualités ornementales –sa fleur évoque une orchidée- et qui est devenue envahissante. Ses graines sont très abondantes, jusqu’à plusieurs centaines voire plusieurs milliers par plant ; elles sont contenues dans des capsules allongées qui éclatent à maturité au moindre contact, en projetant les semences à plusieurs mètres. La raison de cette brutale libération d’énergie est la forte pression osmotique interne à la capsule (jusqu’à 25 bars).

D’autres variétés d’impatientes présentent des caractéristiques analogues, telles l’Impatiente du Cap (Impatiens capensis), un peu moins performante dans la projection de ses graines mais qui est également une espèce invasive et la Balsamine des bois, qui porte un autre nom évocateur de ses capacités explosives : l’Impatiente ne-me-touchez-pas (d’où le nom savant Impatiens noli-tangere) ; dans certains dialectes locaux, la Balsamine est aussi appelée Petouna pour le bruit émis lors de l’explosion de la gousse.

Il est une autre plante inconvenante : l’Arbre sablier ou pet du diable ou arbre bombardier ou arbre dauphin (Hura crepitans). Curieux végétal que cet arbre tropical, qu’on rencontre en Amérique du Sud mais aussi à Madagascar et à La Réunion. Il appartient à la famille des Euphorbiacées, ce qui indique déjà sa toxicité : comme les autres plantes de cette famille, il contient en effet un latex très vénéneux, utilisé par les Amérindiens comme poison. Son aspect n’est d’ailleurs guère engageant, avec son tronc hérissé d’épines (ce qui lui vaut le surnom anglais de Monkey no climb –à rapprocher du Désespoir des singes, surnom français de l’Araucaria). Le fruit, côtelé, évoque une petite citrouille présentant une quinzaine de loges radiales ou carpelles ;  il explose bruyamment à maturité et au contact de l’eau, disséminant les graines contenues dans les carpelles à des distances de l’ordre de 20 mètres. Ces graines sont également fortement toxiques. Les carpelles sont utilisés à La Réunion pour confectionner des pendentifs en forme de dauphin, dont ils présentent naturellement la silhouette.

#Balances ta graine !

Pour conclure, disons quelques mots d’un phénomène dont on parle de plus en plus, celui des bombes à graines, ou bombes vertes. Il s’agit de boulettes, généralement  de la grosseur d’une noix, confectionnées à base d’argile et de compost et dans lesquelles on enferme des graines de diverses variétés. En les disséminant dans différents milieux, on permet aux plantes de s’y implanter grâce à la protection qui leur est offerte par la gangue d’argile, tout du moins le temps de la germination. Le procédé a été inventé par un agronome japonais, Manasobu Fukuoka. C’est un moyen d’action utilisé par les militants écologistes pour végétaliser les paysages urbains et permettre à la nature de s’y ré-implanter, tout en favorisant la biodiversité. Ce procédé a connu un tel engouement qu’on trouve sur Internet de nombreux tutoriels pour fabriquer ces bombes pacifiques, destinées à ce que les journalistes ont parfois appelé la « guerilla jardinière »… Les commerçants n’ont pas tardé à exploiter le filon et plusieurs entreprises se sont lancées dans la commercialisation de bombes à graines : non seulement des chaînes de jardineries, comme Truffaut ou Gamm Vert, mais aussi des enseignes de jouets comme PicWic ou King Jouets, des grandes surfaces de bricolage, etc.

Bombes à graines du commerce

À une autre échelle, les bombes à graines sont parfois utilisées par des ONG ou des institutions pour assurer le reboisement de zones entières. L’utilisation du drone, proposée par un nombre croissant d’entreprises, permet d’atteindre une efficacité inimaginable auparavant.

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