La thériaque

-Une potion magique romaine-

Vase de montre en faïence pour la thériaque ; les anses figurent des serpents torsadés. Musée de Mariemont (Belgique)

Un antidote plus vieux qu’Hérode

Le mot grec therion (θηριον) signifiant « bête sauvage » est à l’origine du mot thériaque, qui désigne en pharmacopée un remède alexitère initialement destiné à combattre l’effet des morsures d’animaux venimeux. Plus largement, c’était un antidote contre les poisons dont la première mention, sous ce nom, est due au médecin et poète grec Nicandre de Colophon. Probablement inspirée du contrepoison mis au point pour son propre usage par le roi Mithridate VI en Asie mineure à  la fin du IIe s. av. J.-C ., une formule de thériaque fut amenée à Rome au Ier s. avant notre ère et modifiée au siècle suivant par le médecin de Néron, Andromaque. Mais c’est surtout le célèbre Galien, natif de Pergame (129-216 ap. J.-C.) qui mit au point la formule qui fut utilisée, avec quelques variantes et évolutions, jusqu’à la fin du XIXe s. En effet, ce remède ne fut supprimé du Codex qu’en 1884. En 1826, 12 des 21 hôpitaux de Paris en consommaient 62 livres (Jourdan, 1828). En guise de clin d’œil à l’histoire, le Centre National Hospitalier d’Information sur le Médicament (CNHIM) a baptisé « Theriaque » sa base de données.

Une recette complexe

La préparation de la thériaque, particulièrement longue et complexe, nécessitait plusieurs dizaines d’ingrédients, d’origine végétale (racines, tiges, feuilles, fleurs, bois, écorces, résines, jus, fruits et graines), minérale et animale, parfois rares ou exotiques.  Parmi les plantes, on peut citer le gingembre, la réglisse, la cannelle, le balsamier, la valériane, le millepertuis, le poivre, le laurier, le persil, la menthe,  le citron, l’acacia, le fenouil, l’anis, la gentiane, la rose, l’iris, le crocus, la rhubarbe, la vigne, etc.  Les ingrédients d’origine  animale comprenaient, par un principe de similitude (Similia similibus curentur), de la chair de vipère desséchée, des glandes anales de castor (castoreum) et du miel. L’argile, le bitume et le sulfate de fer (pyrite ou marcassite) entraient également dans la préparation. Mais l’ingrédient probablement le plus actif était le latex du pavot (opium).

A l’issue de sa fabrication, la thériaque se présentait comme un électuaire (pâte molle), administrée surtout par voie orale, plus rarement utilisée en pommade ou en teinture.

La fabrication de la thériaque était pour les souverains de l’Antiquité une tâche particulièrement sensible qu’ils n’attribuaient qu’à un médecin bénéficiant de toute leur confiance : Galien en fut chargé personnellement par Marc Aurèle puis par Septime Sévère.

La panacée des apothicaires

Marché de Saint-Ouen, juillet 2018
Mon remède guérit, par sa rare excellence,
Plus de maux qu’on n’en peut nombrer dans tout un an :
La gale,
La rogne,
La teigne,
La fièvre,
La peste,
La goutte,
Vérole,
Descente,
Rougeole.
Ô grande puissance
De l’orviétan !
(Molière, L’amour médecin, acte II, scène 7)

L’orviétan moqué par Molière est un électuaire dérivé de la thériaque, attribuée à Jérôme Ferrante, d’Orvieto (Italie) ; le dosage en opium en était moindre. Le diascordium et la confection japonaise figurent aussi dans la liste des électuaires proches de la thériaque. Grâce à sa position géographique et à sa puissance commerciale, Venise fut pendant longtemps le centre de préparation le plus réputé de la thériaque. Mais les apothicaires d’autres villes s’y exerçaient en Europe, sous le contrôle de règlementations locales codifiant la composition du remède. Aujourd’hui, certaines herboristeries en ligne proposent à la vente l’élixir du Suédois,  une préparation à base de plantes utilisant une « thériaque de Venise simplifiée » (mais sans opium…).

Pour en savoir plus :

NICANDRE : Œuvres, tome 2 : les Thériaques. Ed. Les Belles-Lettres, 2002.

GALIEN : Œuvres, tome 6 : Thériaque à Pison, sur l’antidote thériaque. Ed. Les Belles-Lettres, 2016 https://lesbelleslettresblog.com/2016/12/05/galien-marc-aurele-et-la-theriaque/

LE BOULANGER DE CHALUSSAY : Elomire hypocondre ou les médecins vengés, comédie. 1670 (charge contre Molière ; l’un des personnages est un médecin nommé l’Orviétan).

A.-J.-L. JOURDAN : Pharmacopée universelle, ou conspectus des pharmacopées (…) tome 2. Paris, J.-B. Bailliere, 1828, p.198-210.

François CHAST : La thériaque à l’époque moderne. Chronique d’une fin annoncée du XVIe au XIXe s. Revue d’Histoire de la Pharmacie, 2010, n° 368, p. 493-510. https://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_2010_num_97_368_22242

https://wsimag.com/fr/culture/2091-la-portee-medicale-du-livre-de-la-theriaque

Catalogue de l’Exposition temporaire « Au temps de Galien » tenue au musée de Mariemont (Morlanwelz, Blegique) du 26 mai au 2 décembre 2018 http://www.musee-mariemont.be/index.php?id=16251

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