Le questionnaire de Proust

Ce jeu intellectuel, apparenté au « portrait chinois » et destiné à cerner la personnalité d’un individu à partir de réponses à un questionnaire-type, n’a pas été inventé par l’auteur d’À la recherche du temps perdu ; son initiateur est inconnu mais l’origine en est anglaise et remonte aux années 1860, durant lesquelles il fut en vogue dans les salons de la bourgeoisie victorienne. L’usage était d’inscrire ses réponses manuscrites dans un questionnaire imprimé proposé par une tierce personne qui collectait les réponses de ses différents amis dans un album, dans l’esprit du Liber amicorum. Marcel Proust a découvert cette pratique alors qu’il était encore adolescent ; il inscrivit ses réponses, probablement en septembre 1887, lors d’un séjour au Havre, dans le cahier d’Antoinette Faure. Celle-ci était la fille cadette du futur président Félix Faure -alors député de la Seine-Inférieure- avec la famille duquel les Proust entretenaient des relations amicales. Le document, intitulé « Confessions, an album to record thoughts, feelings, etc.« , a été publié en 1924 par le psychanalyste André Berge, qui était le fils d’Antoinette Faure. Il a été acquis par la maison Gérard Darel en 2003 pour la somme de 120.000 euros. Tout récemment, un libraire parisien a révélé la découverte d’un autre questionnaire pré-imprimé, intitulé « Mes Confidences« , rempli de la main de Proust et daté du 25 juin 1887 (https://www.ebloch-dano.com/un-nouveau-questionnaire/) ; ce document, qui serait légèrement antérieur à celui d’Antoinette Faure, a été mis à prix 250.000 euros en avril 2018.

Proust s’essaya de nouveau à l’exercice en 1890, alors qu’il effectuait son service militaire. La liste et l’énoncé des questions du questionnaire anglais avaient été légèrement modifiés par l’écrivain. Il a été publié sous le titre « Marcel Proust par lui-même« .

C’est André Maurois, biographe de Proust et surtout l’éditeur Léonce Peillard qui vont populariser le questionnaire, en lui accolant, par un raccourci de facilité, le nom de l’écrivain et en ayant l’idée de le soumettre à différents auteurs.

Bernard Pivot a élaboré sa propre version de ce questionnaire, qu’il soumettait aux écrivains invités dans son émission télévisée « Bouillon de culture », diffusée entre 1991 et 2001.

En août 1998 le magazine Vanity Fair soumit David Bowie à un questionnaire proche du questionnaire anglais qui inspira Marcel Proust (https://www.brainpickings.org/2014/07/10/david-bowie-proust-questionnaire-vanity-fair/) ; une partie de cette interview a été publiée en français sur le site internet de Paris-Match en janvier 2016 (https://www.parismatch.com/Culture/Musique/David-Bowie-Ses-reponses-au-questionnaire-de-Proust-894527). De très nombreuses personnalités du monde des arts et du spectacle, de toutes nationalités, se sont pliées à ce jeu (Louis Aragon, Hergé, Wolinski, Shirley MacLaine, Robert Doisneau, Lauren Bacall, Martin Scorcese, Rosanna Arquette, Bernard Blier, Alain Delon, Isabelle Adjani, Brigitte Bardot, Michel Piccoli, Jane Birkin, Coluche, Etienne Daho, Serge Gainsbourg, etc.).

Une belle séquence du film Yves Saint-Laurent de Jalil Lespert, sorti en 2014, montre le célèbre couturier répondant au questionnaire de Proust parmi ses amis, dans un hammam marocain. Les réponses sont celles qu’il avait réellement apportées en 2002, six ans avant sa disparition.

Questions formulées par Proust

Réponses de Proust (1887)

Réponses de Proust (1890)

Réponses de David Bowie (1998)

Le principal trait de mon caractère

Le besoin d’être aimé et, pour préciser, le besoin d’être caressé et gâté bien plus que le besoin d’être admiré

Avoir mon mot à dire

La qualité que je préfère chez un homme

L’intelligence, le sens moral

Des charmes féminins

La capacité à rendre les livres empruntés

La qualité que je préfère chez une femme

La douceur, le naturel, l’intelligence Des vertus d’homme et la franchise dans la camaraderie

La capacité à roter sur commande

Ce que j’apprécie le plus chez mes amis

 

D’être tendre pour moi, si leur personne est assez exquise pour donner un grand prix à leur tendresse

 

Mon principal défaut

 

Ne pas savoir, ne pas pouvoir « vouloir »

Quand je suis à New York, la tolérance, quand je ne suis pas à New York, l’intolérance

Mon occupation préférée

La lecture, la rêverie, les vers, l’histoire, le théâtre

Aimer

Écraser des couleurs sur une toile sans signification

Mon rêve de bonheur

Vivre près de tous ceux que j’aime avec les charmes de la nature, une quantité de livres et de partitions, et pas loin un théâtre français

J’ai peur qu’il ne soit pas assez élevé, je n’ose pas le dire, j’ai peur de le détruire en le disant

Lire

Quel serait mon plus grand malheur ?

Être séparé de maman

Ne pas avoir connu ma mère ni ma grand-mère

Vivre dans la peur

Ce que je voudrais être

N’ayant pas à me poser la question, je préfère ne pas la résoudre. J’aurais cependant bien aimé être Pline le jeune

Moi, comme les gens que j’admire me voudraient

 

Le pays où j’aimerais vivre

Au pays de l’idéal, ou plutôt de mon idéal

Celui où certaines choses que je voudrais se réaliseraient comme par un enchantement et où les tendresses seraient toujours partagées

Au nord de Bali ou au sud de Java

La couleur que je préfère

Je les aime toutes

La beauté n’est pas dans les couleurs, mais dans leur harmonie

 

La fleur que je préfère

Pour les fleurs, je ne sais pas

La sienne- et après, toutes

 

L’oiseau que je préfère

 

L’hirondelle

 

Mes auteurs favoris en prose

George Sand, Augustin Thierry

Aujourd’hui Anatole France et Pierre Loti

 

Mes poètes préférés

Musset

Baudelaire et Alfred de Vigny

 

Mes héros dans la fiction

Les héros romanesques poétiques, ceux qui sont un idéal plutôt qu’un modèle

Hamlet

 

Mes héroïnes favorites dans la fiction

Celles qui sont plus que des femmes sans sortir de leur sexe, toiut ce qui est tendre, poétique, pur, beau dans tous les genres

Bérénice

 

(Your favourite names)

 

Sears & Roebuck

Mes compositeurs préférés

Mozart, Gounod

Beethoven, Wagner, Schumann

 

Mes peintres favoris

Meissonnier

Léonard de Vinci, Rembrandt

 

Mes héros dans la vie réelle

Un milieu entre Socrate, Périclès, Mahomet, Musset, Pline le Jeune, Aug. Thierry

M. Darlu, M. Boutroux

Le consommateur

Mes héroïnes dans l’histoire

Une femme de génie ayant l’existence d’une femme ordinaire

Cléopâtre

 

Mes noms favoris

Je n’en ai qu’un à la fois

 

Ce que je déteste par-dessus tout

Les gens qui ne sentent pas ce qui est bien, qui  ignorent les douceurs de l’affection

Ce qu’il y a de mal en moi

 

Personnages historiques que je déteste le plus

Je ne suis pas assez instruit

 

Le fait militaire que j’estime le plus

 

Mon volontariat!

 

La réforme que j’estime le plus

 

 

Le don de la nature que je voudrais avoir

 

La volonté, et des séductions

 

Comment j’aimerais mourir

 

– Meilleur – et aimé

 

L’état présent de mon esprit

L’ennui d’avoir pensé à moi pour répondre à toutes ces questions

Enceint

La faute qui m’inspire le plus

d’indulgence

La vie privée des génies

Celles que je comprends

 

Ma devise

Une qui ne peut pas se résumer parce que sa plus simple expression est ce qu'[il y] a de beau, de bon, de grand dans la nature J’aurais trop peur qu’elle ne me porte malheur

«Quelle» est ma devise

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