Les carnets de Polycarpe

Gradibus virtutis sic itur ad astra

L’hétéroclisme du contenu de ce bloc-notes s’oppose à toute catégorisation ; le seul fil conducteur est celui d’un intérêt personnel parfois fugace, parfois plus durable, pour un sujet d’ordre esthétique, intellectuel, artistique, scientifique ou épicurien. C’est ici qu’il faut évoquer l’ouvrage qui a inspiré ce blog, Bouvard et Pécuchet, roman inachevé publié en 1881.

Dans cet écrit de Flaubert les deux compères, petits-bourgeois parisiens retirés à Chavignolles, s’enflamment pour à peu près tous les domaines de la pensée et de l’activité humaines successivement, avec un enthousiasme toujours renaissant et des résultats immanquablement lamentables. Leurs échecs successifs ne font que réorienter vers d’autres horizons la quête encyclopédique des deux amateurs, jusqu’à cette fin inachevée où, la boucle étant fermée, ils retournent à leur travail de copiste.

La rédaction de cette somme, enrichie de multiples références, coûta plusieurs années de recherches à Flaubert et la confrontation des opinions contradictoires issues de ses lectures, qui démentait les promesses d’un siècle positiviste, ne fit que conforter son profond pyrrhonisme.

Parce que Flaubert (« Polycarpe » pour les intimes) était un grand pourfendeur de la sottise de ses contemporains –au point d’épingler les trophées de ses traques dans son Dictionnaire des Idées reçues– on a considéré son dernier ouvrage comme une ultime attaque contre la bêtise pontifiante ou comme une satire pessimiste et profondément sceptique de la course de la société moderne. Pourtant ses deux anti-héros sont aussi porteurs d’une utopie qui les transcende, par leur soif de savoir et de compréhension du monde (« que de choses à connaître ! que de recherches… si on avait le temps ! ») et par leur désir d’action sur le monde. Ils sont profondément curieux et cette curiosité trouve en elle-même sa propre justification.  Bouvard et Pécuchet est en ce sens une peinture de la condition humaine et, à mes yeux, une œuvre littéraire qui mérite autant de considération que Don Quichotte ou Hamlet.

Comme dirait l’autre, Bouvard et Pécuchet, c’est moi.