La satire par le santon

Pas de crèche sans santons. Ces petites figurines en argile ou en plâtre sont associées à la religion catholique, comme l’indique suffisamment l’étymologie (santoun = petit saint en provençal). Leur origine remonte au début du XIXe s., même si la tradition en attribue la paternité à Saint François d’Assise et la localise dans la région napolitaine. Quoiqu’il en soit, depuis les années 1830, le santon est immanquablement associé à la Provence, dont la communauté villageoise traditionnelle a fourni les modèles aux santonniers : berger, meunier, Arlésienne, fileuse, montreur d’ours, pêcheur, tambourinaire, rémouleur, etc., autant de figures dont l’exotisme a fasciné plusieurs générations d’enfants dans les familles chrétiennes durant le temps de l’Avent.

Mais il existe des versions nettement plus profanes de figurines humaines produites en série, dont l’origine est encore plus ancienne ; la coroplastie, ou modelage de sculptures en argile, remonte au premier millénaire avant notre ère (si l’on fait abstraction des statuettes féminines néolithiques) et se répand dans le bassin méditerranéen, la production la plus connue étant celles des statuettes de Tanagra, produites aux IVe et IIIe s. av. J.-C. Certains centres de production, comme Smyrne, s’étaient fait une spécialité de la fabrication de figurines grotesques.

Certaines traditions locales contemporaines font écho à ces représentations caricaturales, particulièrement dans les pays catholiques du sud de l’Europe.

Les caganers catalans

Les caganers (littéralement : « chieurs », de l’espagnol cagar) sont des santons scatologiques imaginés en Catalogne ; représentant à l’origine un paysan en costume traditionnel (comme le santon provençal) en train de satisfaire ses besoins naturels, la figurine a évolué en caricature brocardant des personnalités politiques (le roi d’Espagne, Donald Trump, Joe Bidden, Emmanuel Macron, Marine Le Pen…), religieuses (le pape François), sportives (Messi, Mohamed Ali, Roger Federer,…) ou artistiques (Marilyn Monroe, Gaudi, le chanteur Bono, Woody Allen,..), voire des personnages de fiction comme Tintin, Bart Simpson, Spiderman ou Dark Vador. Avoir un caganer à son effigie, c’est encore mieux qu’entrer au musée Grévin ! (https://www.caganer.com/fr/)

Caganer du pape Benoît XVI

Il existe un équivalent du caganer en Italie, dans la région napolitaine, l’autre pays de la crèche (https://arteinmovimentodemaria.it/pastori-napoletani-del-presepe-da-10-cm/1161-pastore-che-fa-la-cacca-in-terracotta-10-cm.html).

Ze Povinho

Caldas da Rainha est une petite ville portugaise, située à 90 km environ au nord de Lisbonne, non loin de la lagune d’Obidos. Elle tire son nom de ses eaux thermales qui furent, au XVIe s., appréciées de la Reine Éléonore, épouse de Manuel Ier du Portugal. Au XIXe s., Rafael Bordalo Pinheiro, dessinateur caricaturiste, fonda en 1885 à Caldas da Rainha les Usines de faïences, spécialisées dans la production de vaisselle très ornée et colorée, à motifs végétaux (fleurs et fruits) ou animaux (crustacés, poissons, volaille,..) (https://eu.bordallopinheiro.com/). Pinheiro avait créé en 1875, dans le journal satirique La Lanterne Magique, le personnage de bande dessinée de Zé Povinho -qu’on pourrait traduire par « Jo Quidam », etant le diminutif de José et povinho signifiant manant- type du paysan portugais au caractère aimable et moqueur, qui devint très populaire en tant qu’icône nationale.

Zé Povinho est souvent représenté faisant le geste obscène du « manguito » (bras d’honneur), geste s’accompagnant  de l’expression « Toma! » (tiens, prends ça !).

Zé Povinho

Ce penchant pour la caricature et l’irrévérence se traduit dans la production de figurines en céramique caricaturales et licencieuses, en particulier des statuettes phalliques de toute taille et de toute forme, vendues dans plusieurs boutiques de la ville (https://www.reuters.com/article/oukoe-uk-portugal-ceramic-penis-idUKL2444237620080704 ; http://www.caldas-funnyarts.com/index.php). Inutile de préciser qu’on n’est plus dans tout dans le domaine de la Crèche de Noël.

Vitrine rue de Camoes à Caldas da Rainha

La liqueur de lait, une spécialité de Caldas da Rainha, a été commercialisée, comme on pouvait s’en douter, dans un flacon au design adapté à son contenu…

É conhecida a «produção» caldense da Malandrice com licor de leite, um conteúdo delicioso que acompanha desde sempre esse elemento tão insólito criado pelos Caldenses (…) Surgiu mais tarde a famosa “malandrice” com licor de leite, com um «design» novo que apresentava uma feição mais artística, mais estilizada, e leve de insinuação.

http://cantinhochocolicor.blogspot.com/2011/09/o-unico-e-verdadeiro-licor-das-caldas.html
Licor de leite Malandrice (« Coquin » en portugais)

Il existe un musée de la céramique à Caldas da Rainha, installé en 1983 dans l’ancienne propriété du Vicomte de Sacavem. Un musée de Lisbonne, près de l’Université,  est consacré à Rafael Bordalo Pinheiro (https://museubordalopinheiro.pt/fr/). Pour les Français, une boutique Bordallo Pinheiro a été ouverte à Paris en 2019, au n°260 du boulevard Saint-Germain (https://homefashionnews.fr/bordallo-pinheiro-ouvre-sa-toute-premiere-boutique-en-france/). Les céramiques qui y sont vendues adoptent des formes très ornées, parfois tarabiscotées, mais d’inspiration beaucoup plus sage.

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