La saga du VPB de LU

Petit beurre, Petit LU, souvenirs d’enfance réels ou habilement suggérés par la publicité (belle trouvaille marketing que ce Petit écolier®). Pourtant les origines de ce biscuit sont plutôt associées au tea time entre gens respectables et à l’ambiance cosy de cette chère vieille Angleterre.

Publicité parue dans L’Illustration en 1933 (coll. privée)

La fuite de Varennes

Tout commence aux frontières de la Lorraine et de la Champagne, précisément à Varennes-en-Argonne, village célèbre pour une toute autre raison.

Il était une fois un teinturier-apprêteur, François Joseph Lefèvre, qui était né en 1785 dans le village de Montfaucon en Argonne, d’un père sergier-teinturier.  A l’âge de 24 ans, ce garçon épousa la fille d’un marchand de bougies d’un village voisin, Marie Louise Henriette Denise. Quelques années plus tôt, Geneviève Cécile Lefèvre,  la sœur de François, avait épousé Antoine Louis Denise, le frère de Marie Louise ; Antoine et Geneviève eurent un fils et six filles, dont trois épousèrent des pâtissiers. De leur côté, François Lefèvre et Marie Louise Denise s’installèrent à 10 kilomètres de Montfaucon, à Varennes où ils eurent cinq enfants : une fille, Anne Joséphine, née en 1811, suivie de quatre garçons nés entre 1812 et 1820. Trois des fils se lancèrent avec succès dans la pâtisserie ; seul le cadet eut un destin différent : médecin-major au 42e régiment d’infanterie, il participa aux campagnes d’Afrique du Nord et fut promu officier de la Légion d’Honneur en 1871.

Le fils aîné, Louis Marie, suivit d’abord les traces de son père en fabriquant des draps à Varennes, où il épousa la fille du juge de paix du canton, Mélanie Corneille George, avant de partir pour Sedan, en Ardennes, où il fonde en 1848 la biscuiterie Lefèvre-George, qui commercialise du pain d’épices de Reims. Le second fils, Antoine Louis, part pour Nancy, en Lorraine, où il ouvre une biscuiterie en 1840, avec l’aide de son frère puîné et d’un boulanger dont il épouse la fille ; en 1846 il se marie, en secondes noces, avec sa cousine germaine Célinie Philogène Denise. Le couple crée la fabrique de biscuits Lefèvre-Denise, qui produit des spécialités pâtissières de l’est de la France : pain d’épices et biscuits de Reims, madeleines de Commercy, dragées de Verdun et surtout macarons et nonnettes de Nancy, qui deviennent les produits-phares de la biscuiterie. L’entreprise familiale traverse le temps jusqu’à nos jours sous différentes appellations (Lefèvre Georges, Lefèvre-Lemoine). Une boîte métallique de bergamottes Lefèvre Georges –portant les nom et prénom du petit-fils d’Antoine Louis- fait une brève apparition dans Le fabuleux destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet.

L’origine de LU

Acte de naissance de Jean Romain Lefèvre le 7 avril 1819, Archives Départementales de la Meuse

Mais c’est le troisième fils, Jean Romain, qui va rendre le nom de Lefèvre célèbre dans le monde entier. Il commence sa carrière de pâtissier à Nancy, où il seconde son frère Antoine, avant de s’installer à Nantes, où il reprend en 1846 une boutique, au 5 de la rue Boileau, dans le centre-ville. Il y commercialise des produits anglais très en vogue à cette époque, les biscuits Huntley & Palmers ; il vend aussi ses propres biscuits, produits selon les recettes de sa région d’origine. En 1850, dans son village natal de Varennes, il épouse Pauline Isabelle Utile, la fille d’un gendarme à cheval, native de Marle dans l’Aisne. Avec son épouse, il crée à Nantes la « Fabrique de biscuits de Reims et de biscuits secs », qui connaît un grand succès : la maison Lefèvre-Utile est née et va se développer considérablement à la fin du XIXe s. Le fils cadet de Jean Romain, Joseph Victor Romain Louis Lefèvre (dit Louis Lefèvre), reprend l’affaire familiale en 1880 ; doté d’un sens aigu de la publicité, il engage des affichistes fameux, tels Firmin Bouisset (créateur de l’image du Petit écolier en 1897) ou Alfons Mucha et fait vanter ses produits par des personnalités du monde artistique. Mieux encore, il fait construire un phare par l’architecte Auguste Bluysen à Paris, face à la Tour Eiffel, lors de l’Exposition universelle de 1900, durant laquelle la salle d’exposition Lefèvre-Utile obtient un Grand Prix. C’est également Auguste Bluysen qui construisit en 1905 la tour LU, placée au sommet de la vaste biscuiterie nantaise créée en 1886, face au château des ducs de Bretagne. Le bâtiment abrite désormais un centre culturel, le « Lieu Unique », dont les initiales conservent la mémoire de sa destination première (https://www.lelieuunique.com/).

La tour LU restaurée à Nantes

C’est encore Louis qui crée en 1886 le fameux Petit Beurre LU, biscuit rectangulaire dont l’aspect évoque un napperon brodé ; sa morphologie –hasard ou intention ?- offre également plusieurs références au temps qui passe : les 4 coins rappellent les saisons, sa surface est décorée de 24 points évoquant les heures tandis que le pourtour est orné d’autant d’excroissances que l’on compte de semaines dans l’année (« 4 oreilles et 48 dents »).

Le Petit écolier détourné par le photographe plasticien Samsofy
Le Petit français, ancêtre du Petit écolier (détail de la publicité de 1933)

Le logo de LU (les fameuses lettres blanches dans un rectangle rouge) est créé en 1956 par le designer états-unien Raymond Loewy ; il est modernisé en 2011.

L’ère du néo-capitalisme mondial : les p’tits LU par pertes (d’emplois) et profits (d’actionnaires)

Aujourd’hui, de nombreuses marques de biscuits sucrés se sont ajoutées au célèbre Petit Beurre et sont commercialisées par LU : Paille d’Or (dès 1905), Pépito, Petit écolier, Palmito, Grany, Pim’s, Sablé des Flandres, Beurré Nantais, Trois Chatons, Ourson Lulu, Petits Cœurs, Petit Brun, Thé, Figolu (arrêté en 2015 et relancé récemment suite à une pétition sur Internet), Hello !, Chamonix, Napolitain, Bastogne, Granola, Mikado, Prince (créé en 1950), belVita mais aussi des biscuits salés (TUC) et des biscottes (Cracotte, Heudebert) ; certaines de ses marques sont des créations propres de LU, d’autres sont tombées dans son escarcelle par le jeu des fusions et acquisitions : l’Alsacienne en 1977 (Chamonix, Palmito, Sablé des Flandres –racheté à la biscuiterie nordiste Geslot -Voreux), Belin en 1996 (Pepito), Vandamme en 1999 (Napolitain), Heudebert en 2001.

A partir de 1968, l’entreprise est en effet contrainte de s’associer à différents partenaires pour former d’abord le groupe LU-Brun, racheté ensuite par Céraliment, qui forme en 1978 Générale Biscuit, 3e entreprise mondiale dans son domaine. Générale Biscuit passe en 1986 sous contrôle du groupe BSN, devenu bientôt Danone. L’usine LU de Nantes ferme à partir de 1975, remplacée par une nouvelle usine à La Haye-Fouassière, en banlieue nantaise. Une dizaine d’autres usines réparties sur le territoire français assurent la production des biscuits LU ; deux d’entre elles sont fermées par Danone au début du XXIe siècle : Calais (créée en 1959 par l’Alsacienne) et Ris-Orangis (ouverte en 1973 par Belin). En 2007, la branche biscuit de Danone est rachetée par la multinationale états-unienne de l’agroalimentaire Kraft Foods. En 2012, Kraft Foods donne naissance, par scission, à Mondelez International, 2e groupe agroalimentaire mondial, qui a possédé, outre LU : Oreo, Cadbury, Milka, Suchard, Côte d’or, Toblerone, Poulain, Carambar, La Pie qui chante, Kréma, Lajaunie, la Vosgienne, Hollywood, Malabar, Stimorol, Chiclets, Carte Noire, Maxwell, Grand’Mère, Jacques Vabre, Tang… Mondelez a réalisé en 2014 près de 30 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Depuis, la multinationale cherche à se recentrer sur les activités les plus rentables en se débarrassant de ses branches confiserie et chocolat en France ; c’est ainsi que les pastilles Vichy sont redevenues françaises en 2017, rachetées par le fonds d’investissement Eurazeo qui a aussi dans son portefeuille Poulain, Carambar, Krema, La Pie qui chante, Rochers Suchard, mais aussi Léon de Bruxelles, Asmodée, Dessange, Camille Albane, Segura, etc. Quant à Mondelez, ses ventes ont diminué en Europe de 5,3 % en 2017, mais son bénéfice net a augmenté de 7,3 % grâce à une réduction des coûts de 12,7 % (Le Point du 2/08/2017). Les actionnaires principaux de Mondelez sont les milliardaires Nelson Peltz et Bill Ackman, via leurs fonds d’investissement (respectivement Trian Fund Management et Pershing Square Capital Management). Mondelez envisage de développer des versions infusées au CBD ou cannabidiol –un des composés du cannabis- de certains de ses biscuits et chocolats (heureux hasard, Nelson Peltz est récemment entré dans la société canadienne Aurora Cannabis, productrice de cannabinoïdes) ; qu’on se rassure, le petit LU n’est pas concerné…

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