Cléopâtre-Diane de Mérode, fille de Vincentia Marie Cecilia (dite Cense) de Mérode et d’un père inconnu, est née à Paris, au 79 rue de la Montagne Sainte-Geneviève (Ve arrdt). Elle fit une carrière de danseuse, classique à ses débuts, mais fut surtout connue par sa beauté, par ses aventures amoureuses avec des célébrités et par son immersion dans les milieux artistiques et intellectuels, qui en firent une icône de la Belle Époque, au point de symboliser la « demi-mondaine » dans l’imaginaire collectif et d’en éclipser le prototype, Marie Duplessis, la « Dame aux camélias ». Simone de Beauvoir la cite d’ailleurs à ce titre en 1949 dans « le Deuxième Sexe », ce qui lui vaudra un procès, intenté et gagné par Cléo de Mérode. Elle était cependant –contrairement à ses aînées Liane de Pougy, Emilienne d’Alençon, Blanche d’Antigny, Valtesse de La Bigne et Marthe de Florian- une authentique aristocrate, puisque sa mère, née à Mödling en Autriche-Hongrie, était –d’après son acte de décès en 1899- la fille de Ferdinand Vincent, baron « de Mérode de Hullfling » (en réalité de Mérode –Houffalize) et de Constance Eléonore Vincentia Cecilia, comtesse de Berchtold.
Cléo servit de modèle à de nombreux artistes, peintres (Toulouse-Lautrec, Degas) et sculpteurs (Falguière) mais c’est surtout la photographie qui popularisa son image : Paul Nadar (fils de Félix), Léopold-Emile Reutlinger, Charles Ogereau, Wilhelm Benque, Henri Manuel, la prirent pour modèle. Elle n’échappa pas aux caricaturistes, tels que Fernand Fau, Charles Léandre ou Lucien Métivet (ami de Paul Nadar et de Toulouse-Lautrec). Grâce aux journaux et aux cartes postales, sa coiffure « en bandeaux » (séparant les cheveux au milieu du front et les ramenant sur les côtés du visage en cachant les oreilles) fut rapidement copiée durant la Belle Époque. Elle apparaît ainsi comme précurseur de notre époque, toujours friande de top-models, de tapage médiatique et de people.
Mais voici la venue de la grande aimée, l’étoile, Cléo de Mérode, saluée aussitôt de murmures admirateurs, tant est adorable l’apparition –Tanagra- sculpturale et marmoréenne l’incarnation, divine l’expression de ce visage qu’éclairent la flamme de grands yeux noirs et le sourire ingénu serti dans le corail des lèvres ouvertes sur l’orient de perles minuscules. Et puis le poros s’anime, descend de son socle, livre maintenant les secrets de son eurythmie, dans le rayonnement des projections qui percent la tunique et donnent des tons nacrés à cette blancheur, sur laquelle encore l’écarlate des draperies murales met une teinte de sang rose. Et les attitudes se poursuivent, le corps se meut en une grâce tourmentée, la tête hiératique se renverse, le buste s’offre, les reins ploient… lascivité troublante (…)
Henri François, 1904
Son affectation de femme-enfant a été brocardée par sa consœur, Liane de Pougy, dans ses mémoires : « Cléo aussi, la mignonne et fine et douce petite Cléo nous accompagnait sur l’affiche. Je la vis à Monte-Carlo, elle avait bien près de quarante ans. C’était encore une toute petite fille sautillante et menue, souriante et fragile, fraîche malgré quelques fils d’argent dans ses longs bandeaux. Elle venait de danser avec grâce un ballet de Paul Franck. Je la félicitai. Nous causâmes deux minutes. : «il faut que je vous quitte, me dit-elle de sa petite voix enfantine, je vais rentrer à l’hôtel jouer un peu à la poupée avant de dîner… » Et ça n’était pas une pose. Petite puérilité qui a cependant servi aux bas plaisirs des hommes ! Passons… » (Liane de Pougy, Mes cahiers bleus, Plon, 1977)
La tombe de Cleo de Mérode, ornée d’une sculpture de l’espagnol Luis de Périnat, se trouve dans la 90e division du cimetière parisien du Père Lachaise, à l’angle de l’avenue Transversale 3 et de l’avenue Carette, non loin de la tombe de l’humoriste tourquennois Bézu (immortel interprète de « La queueleuleu »).
Un membre de la famille de Mérode, le prince Emmanuel de Mérode, épousa en 2003 la paléontologue Louise Leakey, dont le grand-père (Louis) et le père (Richard) furent de célèbres paléoanthropologues, qui ont travaillé sur les fossiles humains et pré-humains d’Oludvai (Tanzanie) et du lac Turkana (Kenya).
Pour en savoir plus
- Cléo de MÉRODE : Le Ballet de ma vie. Ed. Horay, 1955, 277 p.
- Gabriella ASARO, « Cléo de Mérode, une icône entre Romantisme et Symbolisme », Histoire par l’image [en ligne]. https://www.histoire-image.org/fr/etudes/cleo-merode-icone-entre-romantisme-symbolisme
- Christian CORVISIER : Cléo de Mérode et la photographie. La première icône moderne. Ed. du Patrimoine, CMN, 2007, 160 p.
- Michael D. GARVAL : Cleo de Merode and the Rise of Modern Celebrity Culture. Ashgate Publishing Ltd, 2012, 265 p.
- Yannick RIPA : Cléo de Mérode ou la mauvaise réputation. L’Histoire, n°455, janvier 2019, p. 68-71.
- Patrizia VEROLI : Les danseuses et les nouveaux médias (seconde moitié du XIXe siècle). Recherches en Danse, n°3, 2015 . https://journals.openedition.org/danse/911?lang=en#tocto1n3
- Adyl ABDELHAFIDI : Cléo de Mérode, l’icône mystérieuse. Film documentaire, OC Films, 2016, 52’.
- Julian SEMILIAN : The Dream Life of Cleo de Merode. Court-métrage expérimental, 2010, 14’. https://vimeo.com/32410227
- https://www.youtube.com/watch?v=ACNVD4vkL8Y (danse javanaise pour l’Exposition universelle de 1900, extrait des archives Gaumont-Pathé) )
- http://peccadille.net/2013/09/30/cleo-de-merode/ ( article d’un blog très intéressant, illustré de clichés extraits de l’album photographique de Reutlinger)
- https://gallica.bnf.fr/services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&page=1&page=1&maximumRecords=15&query=(gallica%20all%20%22reutlinger%20album%22)%20and%20(dc.type%20all%20%22image%22) ( lien vers l’album de Reutlinger, consultable sur le site gallica de la BNF)