Les « langues sifflées » sont des transpositions, par sifflement, du langage parlé dont ils reproduisent les rythmes et l’articulation. Les avantages en sont : une plus longue portée, jusqu’à une dizaine de kilomètres (ce qui explique leur pratique par des populations montagnardes) et une certaine discrétion par rapport à l’environnement (par exemple dans les forêts tropicales) ou vis-à-vis des personnes non initiées. C’est un phénomène de répartition mondiale, qu’on trouve aussi bien en Europe (Pyrénées, île d’Eubée en Grèce) qu’au Proche-Orient (Turquie), en Chine, en Asie du Sud-Est, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, en Amérique centrale et du Sud, en Afrique de l’Ouest… L’intérêt ethnologique pour ces pratiques remonte aux années 1950 mais c’est tout récemment que les langues sifflées ont connu un certain écho médiatique.
Le siffleur utilise ou non ses doigts, selon les peuples. Il existe en fait plusieurs types de sifflement selon le type de langue transposé. Le plus connu est sans doute le silbo, pratiqué sur l’île de La Gomera dans l’archipel des Canaries et inscrit en 2009 sur la liste UNESCO du patrimoine immatériel de l’humanité. Le chanteur français Feloche a contribué à populariser le silbo gomero dans son second album « Silbo », sorti en 2013 et inspiré par des souvenirs d’enfance.
Il existe un endroit
Où les hommes parlent comme les oiseaux.
Sur l’île de La Gomera
On entend el Silbo, en écho
Entre deux montagnes amarrées aux nuages,
Un guanche siffle pour s’inviter à dîner.
Au menu un mojo piquant, qui monte aux yeux
Et à nouveau un sifflement pour se dire adieu
FELOCHE
Plus récemment, un film du roumain Corneliu Pirimboiu, Les siffleurs (La Gomera), a mis en scène le silbo et l’île de Gomera dans une intrigue policière traitée comme un thriller. Le film a été présenté en compétition officielle au festival de Cannes 2019.
L’année précédente, un autre film, présenté au Tiff de Toronto, mettait déjà à l’honneur une langue sifflée. Il s’agit de Sibel, un film turc de Cagla Zencirci et Guillaume Giovanetti qui se passe à Kusköy, un village de la Chaîne Pontique où est pratiqué le kus dilli ou langue des oiseaux, inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO en 2017.
En France, les bergers du village d’Aas dans la vallée d’Ossau (Pyrénées béarnaises) pratiquaient le langage sifflé ; comme dans les Canaries, des initiatives récentes tentent de redonner vie à cette pratique en l’enseignant aux écoliers et étudiants.
Le langage sifflé a attiré l’attention des voyageurs et des ethnologues dès le XIXe siècle. Il a même fait l’objet d’études publiées dans de savantes revues d’anthropologie, comme celle de Lajard en 1891, qui voyait aussi une forme de langage sifflé dans les sifflements conventionnels en usage parmi certains corps de métier dans le Paris contemporain.
Bibliographie
- LAJARD : Le langage sifflé des Canaries. Bulletin de la Société d’Anthropologie de Paris, 4e série, tome 2, 1891, p. 469-483.
- LAJARD : Rudiments de langage sifflé à Paris. Bulletin de la Société d’Anthropologie de Paris, 4e série, tome 2, 1891, p. 517-520.
http://www.lemondesiffle.free.fr/presentation/languessifflees.htm
https://www.canal-u.tv/video/cerimes/documents_sur_une_langue_sifflee_pyreneenne.9134