Les neuf îles volcaniques des Açores forment un archipel isolé en plein Atlantique Nord, à plus de 1400 kilomètres à l’ouest du Portugal et à plus de 2400 km à l’est de Terre-Neuve. Cette position intermédiaire entre Europe et Amérique valut à ces possessions portugaises de servir d’escale, dès le XVe siècle, dans la longue traversée transatlantique des navires à voile, en alternative à la route des alizés, plus longue en distance mais plus favorable sur le plan anémométrique. Les touristes venus en avion et les plaisanciers ont succédé aux grands navigateurs et aux baleiniers. Ils peuvent découvrir sur place des formes d’artisanat originales.
Le scrimshaw
Le terme scrimshaw –mot anglais dont l’étymologie est incertaine- désigne depuis le XIXe siècle la gravure sur os pratiquée par les marins ou les populations littorales sur les matières dures animales dont elles disposaient (os et dents de mammifères marins : baleine, cachalot, morse, narval, tests de coquillages). De façon plus précise, un scrimshaw est une dent de cachalot gravée de thèmes généralement liés à la mer (navires, sirènes, animaux marins, etc.).
La gravure sur dent d’animal est une pratique très ancienne qui remonte au Paléolithique supérieur. Un niveau magdalénien de la grotte de Las Caldas à Oviedo, par exemple, a livré une dent de cachalot perforée et gravée d’un bison sur une face et d’un cétacé sur l’autre face, vieille de 16000 ans environ.
Mais c’est au XIXe siècle, à l’apogée de la chasse baleinière, que la pratique de la gravure sur dent de cachalot se répandit parmi les marins chasseurs de baleine, qui pouvaient y consacrer leur temps libre. Les thèmes représentés sont principalement liés à la mer : voiliers, scènes de chasse à la baleine, animaux marins réels ou fantastiques, paysages maritimes, mais ils peuvent aussi être des personnages, plutôt féminins comme on peut le comprendre dans un univers exclusivement masculin. La gravure est rehaussée d’encre noire qui rend le trait fin plus visible. L’archipel des Açores accueillit longtemps une industrie baleinière importante et la production de dents de cachalot gravées y est fort répandue. A Horta, le mythique café « Chez Peter », lieu de rendez-vous incontournable des navigateurs transatlantiques, présente, dans un musée privé créé en 1986, une impressionnante collection de scrimshaws (https://www.petercafesport.com/museu/).
On peut rapprocher le scrimshaw de la gravure sur matière dure végétale, comme la gravure sur calebasse pratiquée par exemple en Amérique du Sud, ou encore de la gravure sur œuf d’autruche pratiquée en Afrique depuis plusieurs dizaines de millénaires.
Miolo de figueira
Il existe, dans l’archipel des Açores, un artisanat particulier : la sculpture de moelle de figuier. Cette matière végétale blanche, très tendre, prélevée dans les branches coupées entre novembre et mars, se prête à la découpe précise, au couteau et à la lame de rasoir, de fins rouleaux fournissant les plaques qui sont ensuite assemblées et disposées de manière à figurer des motifs floraux ou des objets en miniature tels que des bateaux, des monuments, voire des scènes complètes, extrêmement légères.
Cet art serait apparu sur l’île de Faial au cours du XVIe siècle et aurait été pratiqué en particulier dans les couvents de la ville d’Horta durant les siècles suivants. La fermeture des établissements religieux en 1834 aurait disséminé cette pratique dans la population. Après un certain déclin, l’artisanat de la moelle de figuier a été reconnu comme faisant partie du patrimoine culturel açorien et remis à l’honneur. Il bénéficie d’un label « Artisanat des Açores » (tout comme le travail des écailles de poissons), des expositions sont organisées, ainsi que des stages de formation à sa pratique. Quelques artistes émergent particulièrement : Madruga Emilia Ferreira au XIXe siècle, Lourenço Vieira Pimentel au début du XXe siècle, le Père João Pereira Silva, mais l’artiste le plus connu est Euclides Rosa (mort en 1979), qui constitua à partir de 1936 une collection actuellement présentée au musée d’Horta. Parmi les artistes contemporains, on peut citer Maria Helena Enriques, native de l’île de Sao Miguel et qui a remporté plusieurs prix (http://blogues.publico.pt/emviagem/2016/04/19/as-voltas-do-miolo-de-figueira-nas-maos-de-helena/).
Escama de Peixe
L’archipel des Açores possède une autre forme d’artisanat inhabituelle, basée sur l’utilisation des écailles de poisson. Entourés par l’Océan Atlantique et vivant surtout de la pêche, les Açoriens étaient familiers de quantités d’espèces de poissons. Les écailles des poissons, outre l’avantage évident de leur disponibilté en abondance, présentent naturellement des qualités esthétiques (transparence, reflets irisés) qui ont été exploitées pour la réalisation d’arrangements floraux. Les espèces les plus utilisées sont le poisson perroquet (Sparisoma cretense), le mulet à grosse tête (Mugil cephalus) et le sar commun (Diplodus sargus). Une fois lavées, séchées, triées, éventuellement teintées puis coupées, les écailles sont assemblées en pétales pour former des fleurs qui sont regroupées en branches à l’aide de fil d’or ou d’argent et de petites perles. Outre les bouquets floraux, cet artisanat s’oriente aussi vers la fabrication de boucles d’oreille, de bracelets, de colliers, de bagues, de chemins de table ou de décorations de mariage.
La tradition remonterait au XVIIe siècle, mais elle n’a été remise à l’honneur que récemment, bénéficiant de l’essor du tourisme. Elle bénéficie désormais d’un label « Artisanat des Açores » (tout comme le travail de la moelle de figuier) et des expositions lui sont consacrées. Plusieurs artisans travaillent sur les îles de Sao Miguel, Terceira, Pico, Faial, Graciosa et Flores. Parmi les créateurs, on peut citer Leovigilda Lima.
Cet artisanat a été exporté au Brésil, où il est pratiqué depuis le début du XXIe siècle, en particulier dans la région de Recife où quelques créatrices de bijoux sont regroupées au sein de l’AMAI (Associacao de Mulheres Artesas de Igarassu) (https://www.arteblog.net/2012/10/08/artesa-transforma-escama-e-couro-de-peixe-em-artesanato/). Non loin de là, à Joao Pessoa, le projet Serenas da Penha, qui produit également des bijoux en écailles de poisson, a été créé dans un but d’intégration sociale et d’appropriation culturelle (https://turismo.joaopessoa.pb.gov.br/o-que-fazer/pontos-turisticos/artesanato/sereias-da-penha/).