Un engin steampunk : le vélo-torpille

Du bon usage des mauvaises fortunes

Étienne Bunau-Varilla, sportif et aviateur, est l’inventeur du loufoque vélo-torpille, un genre de suppositoire sur roue de 17 kg, consistant en une coque en bois et celluloïd, montée sur un vélo ordinaire et dont l’aérodynamisme –inspirée des ballons dirigeables- était sensé améliorer les performances des vélocipèdes. Il se fit aider, pour la réalisation, de son ami l’ingénieur aérodynamicien Marcel Riffard dont il avait fait connaissance en 1911 dans le régiment de cavalerie où il effectuait son service militaire.

Une esthétique délicieusement steampunk ; photo agence Meurisse 1913, source : galllica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Le nom de Bunau –Varilla est surtout connu par le rôle que jouèrent les prénommés Philippe et Maurice, respectivement père et oncle d’Étienne, dans le projet français de creusement du canal de Panama, avant la reprise en main de l’ouvrage par les États-Unis. Cette vaste entreprise fut entachée d’un scandale financier qui ébranla la classe politique française en 1892, ruina de nombreux épargnants mais –grâce au système des vases communicants- enrichit quelques personnes dont les Bunau-Varilla.

Des essais sur piste concluants

En décembre 1913, Bunau-Varilla fait réaliser des essais du vélo-torpille au Parc des Princes par le coureur cycliste Marcel Berthet, qui bat quand même, grâce à cet engin, le record de vitesse sur piste en parcourant le kilomètre en 1’02, si bien que la fédération cycliste bannit les vélos carénés des compétitions officielles.

Le vélo-torpille et son inventeur, Étienne Bunau-Varilla, au Parc des Princes lors des essais du 18 décembre 1913 (source : gallica.bnf.fr)
Les essais du vélo-torpille par Marcel Berthet au Parc des Princes le 18 décembre 1913 (source : gallica.bnf.fr)

Ces succès inspirèrent des tentatives concurrentes outre-Rhin : le constructeur allemand Göricke copia sans vergogne le vélo-torpille avec son Schrapnell, monté à Berlin en 1914 par le champion cycliste Arthur Stellbrink, tandis que la firme Brennabor faisait de même avec son Fliegende Fisch, piloté par le champion néerlandais Piet Dickentman.

Premiers essais sur route en Normandie

En 1914, l’inventeur souhaite tester son engin sur route. Les routes d’Ile-de-France étant par trop fréquentées (déjà !), il choisit la route Étretat-Le Havre pour un essai sur le terrain le 21 janvier 1914, en compagnie d’un mécanicien et avec l’aide d’un cycliste expérimentateur. Le climat normand offrait en outre l’opportunité de tester le prototype dans des conditions un peu rustiques… On pouvait craindre en effet que l’enveloppe de l’habitacle, malgré sa forme aérodynamique, ne soit pas aussi performante sur route que dans un espace protégé des vents, les vents latéraux étant particulièrement à craindre. Les résultats furent tout-à-fait satisfaisants si on en croit la presse locale, l’engin permettant un gain de vitesse de 20 % par vent arrière ou de côté et jusqu’à 40 % par vent debout, tout en fournissant une protection contre le froid et la pluie (https://archives.lehavre.fr/archives_municipales/LPH_1914-1919/journaux/1914/01/B763516101_LPH_1914_01_24.pdf).

Le Petit Havre du 24 janvier 1914

Souvent imité, parfois dépassé

La guerre interrompit les essais du vélo caréné, qui reprirent sur piste en mai 1919 au Parc des Princes. Des améliorations successives furent apportées jusque dans les années 1930. Marcel Riffard et Marcel Berthet conçurent ainsi le Vélodyne, en aluminium et entièrement caréné de bois d’épicéa recouvert de toile, qui bat le record du monde de l’heure en septembre 1933 au Parc des Princes avec une vitesse de 48,6 km/h. De son côté le coureur cycliste suisse Oscar Egg, le rival de Marcel Berthet, conçut le Vélo Fusée en 1932, sorte de demi-vélo torpille dont le carénage se limitait à une coque effilée vers l’arrière, fixée sur la selle, ce qui donnait au cycliste l’apparence étrange d’un être hybride pourvu d’un volumineux appendice caudal. Charles Mochet pour sa part mit au point le Velocar, piloté en 1933 par le cycliste Francis Faure au Vélodrome d’Hiver. En 1958 l’étonnant Spoutnik III, sorte de bathyscaphe terrestre conçu par Oscar Egg, est piloté par le Cycliste Jean Raynal.

La résurrection du vélo-torpille

Le prototype du vélo-torpille a été reconstitué à l’IUT de Cachan par l’Association Les Triplettes de Belleville à l’aide des nouvelles technologies (numérisation 3D) (http://aerodyne-cachan.blogspot.com/2017/02/le-velo-tropille-de-bunau-varilla.html ; https://www.youtube.com/watch?v=87JlpbR8LVc ; https://www.youtube.com/watch?v=NX61kEfkY-Q ; https://www.aerovfr.com/2021/09/aerodyne-3-velo-torpille-et-lanceur-frog/). Le Vélodyne, le Spoutnik et les prototypes allemands ont également fait l’objet de reconstitutions, en Alsace cette fois (https://stayerfrance.over-blog.com/2021/09/goricke-ou-brennabor-les-deux-mon-capitaine.html).

Le Vélodyne de Berthet reconstitué par un groupe de passionnés dans les ateliers du Centre de Vol à Voile de Haguenau (cliché Les Dernières Nouvelles d’Alsace) ; l’engin a participé au Vintage Revival de Monthléry en 2015

L’héritage du vélo-torpille est repris actuellement dans de nombreux prototypes de vélomobiles, combinant vélo couché et carénage aérodynamique. En 2016, le record du monde de vitesse en vélo couché caréné a été établi à 144,17 km/h par la société canadienne Aerovelo, soit près de 100 km/h de plus que le vélo-torpille de 1913… (http://www.aerovelo.com/mission-log/2016/9/19/battle-mountain-2016-an-unbelievable-leap-to-8959-mph-14417-kmhr).

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